"Plus clair ou plus foncé ?"
Une façon d’aborder un tableau est de l’analyser sous plusieurs dimensions : 1) Le dessin, les lignes, les formes, la composition, 2) les Valeurs, 3) les Couleurs et 4) les Contours. Arrêtons-nous ici aux Valeurs.
Les Valeurs, qu’est-ce que c’est ?
Les valeurs sont les différentes variations de gris, du noir au blanc, ou les différentes variations d’intensité de lumière, du sombre au clair, perçues par notre œil. C’est le degré d’éclairement d’une surface.
En peinture, on classe communément ces valeurs sur une échelle de 1 à 10, 1 étant le blanc et 10 le noir, et les échelons intermédiaires formant des nuances du moins gris au plus gris. On mesure ensuite l’intensité d’une couleur en comparaison avec cette échelle pour déterminer son niveau d’intensité lumineuse.
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Ces nuances sont perçues grâce aux batônnets de notre œil (environ 100 millions), et constituent la vision périphérique, alors que les cônes permettent de voir trois couleurs (rouge, vert, bleu).
La lumière est blanche. L’absence de lumière est le noir. Les valeurs sont donc les variations ou quantité de lumière perçue sur une surface en fonction de son exposition à la lumière. Plus une surface est éclairée, plus elle sera proche du blanc, plus elle sera claire. Plus une surface est dans l’ombre, plus elle sera foncée et proche du noir. Pour qu'un objet qui ne produit pas de lumière par lui-même soit visible, il faut qu'il reçoive de la lumière.
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A quoi ça sert ?
Les valeurs (ou les variations de lumière) permettent donc de voir. Si on ne voyait pas les couleurs, on verrait en noir et blanc, mais si on ne percevait pas les valeurs, on serait aveugle. Lorsque la nuit tombe, on perçoit de moins en moins les couleurs, mais on continue à discerner les formes, jusqu’à ce que la nuit soit complètement noire (sans source lumineuse).
Ce sont les valeurs qui nous permettent de reconnaitre une forme.
En peinture, soit lorsque l’on veut représenter un sujet en 3D sur la surface plane en 2D de la toile, les valeurs permettent de créer l’impression de 3D, de profondeur : les valeurs sont un des moyens, avec la perspective et le contraste des couleurs, de créer les formes, le relief et les volumes, par le jeu des ombres et des lumières, ainsi que la profondeur par l’utilisation des contrastes de qualité ou de différents niveaux de valeurs en fonction de la place d’un élément dans une composition.
Comment voir les valeurs ?
Il suffit de passer une image en noir et blanc pour voir les différentes valeurs principales qui la composent, avec un téléphone ou un logiciel de retouches photos. On peut également les voir en regardant une image sur un écran noir, qui va refléter les lumières et non les couleurs (contrairement à un miroir classique). Les peintres ont aussi l’habitude de plisser légèrement les yeux (« squinting » en anglais) pour diminuer l’entrée de lumière dans l’œil et ainsi percevoir les masses principales de lumières et d’ombres.
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On peut également utiliser une échelle de valeurs comme référence, en la juxtaposant à notre sujet. La plupart des cercles chromatiques en possède une, mais vous pouvez aussi réaliser la vôtre avec une bande de 10 cases, avec une case blanche et une case noire à chaque extrémité, dégradés progressivement l’une vers l’autre, comme l'échelle ci-dessus.
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Comment obtenir différentes valeurs d’une même couleur ?
Pour éclaircir une couleur (l’affadir ou la dégrader), on peut rajouter du blanc ou du jaune pale ou la même couleur plus claire (la baisser).
Pour foncer une couleur (la rabattre ou la casser), on peut rajouter du noir, du gris, du bleu ou du brun, ou la même couleur plus foncée (la monter).
Pour composer des demies-teintes (soit pour rompre l’éclat d’une couleur ou la briser), on peut aussi rajouter la couleur qui lui est opposée sur le cercle chromatique, soit ajouter sa couleur complémentaire : ajouter du rouge à du vert, de l’orange à du bleu ou du violet à du jaune.
Rappelez-vous que le mélange des trois couleurs primaires, Jaune, Bleu, Rouge, donnent un gris, et que le mélange de toutes les couleurs du spectre lumineux (Rouge, Jaune, Vert, Bleu, Violet, Orange, Indigo) donne du blanc. Delacroix disait que « Tout mélange pigmentaire tend à s’obscurcir et à se décolorer ».
Également, on obtient plus de variations de valeurs d’une même couleur avec de la peinture opaque qu’avec de la peinture transparente.
Comment se servir des valeurs en peinture ?
Les peintres classiques qui disposaient de peu de couleurs ont beaucoup utilisé les valeurs et réalisé des peintures « tonales », avec peu de couleurs mais de grandes variations de valeurs ou de tons d’une même gamme de couleurs. On peut penser aux grands maitres du clair-obscur, comme Rembrandt, Vermeer ou Caravage, ou à Velasquez ou plus tard des peintres paysagistes et leur paysage tonal comme Corot ou Jan Van Goyen, ou aussi Whistler. Des scènes réalistes surgissaient grâce à la répartition des valeurs sur la toile, à la distribution des zones claires et foncées. La peinture chinoise traditionnelle est aussi une peinture composée d’une large gamme de gris, allant du blanc au noir.
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Pensez aux valeurs comme le squelette de la peinture, ou ses fondations.
Les valeurs permettent de créer les ombres et les lumières et donc les formes, les volumes et le relief, et la distance.
Bien placer les bonnes valeurs permet donc de suggérer des formes et de faire naitre une image, que notre œil et notre cerveau vont reconstituer sur la rétine, avant même d’ajouter des détails. Elles font aussi comprendre leur positionnement dans la composition.
1. Identifiez d’abord les valeurs principales d’un sujet, les grandes masses, qui peuvent regrouper plusieurs sous-valeurs, en identifiant les grandes formes et lignes de force du sujet. Cet exercice se fait toujours via la mise en relation d’une zone à l’autre. C’est un exercice de comparaison entre zones plus claires et zones plus foncées, les zones plus claires comparées aux zones plus foncées. Utilisez pour cela une photo en noir et blanc de votre sujet, dont vous pouvez augmenter le contraste, ou utilisez votre échelle des valeurs pour identifier le niveau de valeur de vos masses principales.
Par exemple dans un portrait, dégagez tout d’abord une valeur moyenne, une valeur d’ombre un peu plus foncée et une valeur de lumière un peu plus claire. Avec ces 3 valeurs, le relief du visage devrait déjà apparaitre. Puis dégagez une 5ème valeur plus sombre (ex : pour les cheveux) et une 6ème valeur très claire pour les éclats de lumière.
1. Préparez ensuite vos couleurs en respectant les valeurs identifiées.
Demandez-vous toujours avant de préparer et de poser une couleur : est-elle plus claire ou plus foncées que ma zone de référence ?
2. Travaillez ensuite les valeurs intermédiaires, les transitions de valeurs, qui renforceront le volume du sujet.
3. Avancez du général au particulier, en simplifiant le sujet, et en ne vous perdant pas dans trop de détails. L’art de la peinture tient souvent à l’art de la simplification par la suggestion ! La couleur peut être apposée par plans, par touches en mosaïque ou par couches successives de glacis.
4. Pour atténuer un élément, baisser sa valeur ou le fondre dans un ensemble d’éléments aux valeurs proches. Pensez à l’usage de contours flous.
5. Pour rehausser un élément ou attirer le regard dessus, augmenter sa valeur ou lui juxtaposer un élément d’une valeur opposée. Pensez à l’usage de contours nets.
6. Jouez avec les zones de résonance, en effectuant des rappels de valeurs à différents endroits du tableau qui se feront écho.
A noter :
· Souvenez-vous : plus il y a de lumière sur un objet, plus sa forme sera définie et ses contours nets. A l’inverse, plus un objet est dans l’ombre, plus ses contours seront flous. Le cerveau saura reconstituer sa forme en voyant les parties éclairées et nettes du sujet, en contraste avec les zones plus foncées, et ce, même en l’absence de détails.
· Sachez aussi en composition que les zones éclairées, les zones de lumière, attirent le regard. Jouez habilement avec le contraste de qualité, ou d’opposition de valeurs. Pa exemple : le contraste clair-obscur est un contraste de qualité qui est utilisé pour guider le regard du spectateur à un endroit particulier du tableau.
Attention : une trop grande variété de valeurs non volontaire, allant par exemple du 1 au 10, dans un tableau pourra paraitre trop agressif ou trop dynamique. De trop forts contrastes de valeurs peuvent déranger. Pour une atmosphère plus douce et harmonieuse, utiliser une gamme de valeurs plus resserrée, d’un écart de 4 ou 5 par exemple entre les deux valeurs utilisées les plus extrêmes. Utiliser les écarts de valeurs en fonction de l’effet recherché.
· Rechercher des rapports équilibrés entre unité et variété, avec plutôt une masse de valeur dominante et des variations de plus petites masses.
· Plus un élément est éloigné, plus sa valeur sera basse (et ses contours flous). Exemple de perspective atmosphérique qui donne de la profondeur à un sujet. Plus un élément est proche, plus sa valeur sera haute (et ses contours nets). C’est une autre fonction du contraste de qualité, que de produire ainsi un effet de profondeur et de perspective dans un tableau.
· Tout est question de rapport : une valeur va paraitre plus claire lorsque placée à coté d’une valeur plus foncée. Il n’est donc parfois pas nécessaire d’éclaircir une valeur. Il suffit parfois d’y juxtaposer une valeur plus foncée. Et réciproquement : il peu ne pas être nécessaire de foncer une valeur et il peut suffire d’y juxtaposer une valeur plus claire.
· Se méfier des fonds blancs, qui poussent à forcer les valeurs utilisées, par opposition au blanc de la toile. Préférer un fond coloré, chaud ou froid, clair ou foncé, en fonction de son projet.
L’approche par les valeurs est ainsi une manière de donner du rythme, du dynamisme à un tableau.
Citons en conclusion Pierre Bonnard : « Tout l’art de la peinture consiste à éclairer et foncer les tons sans les décolorer. »
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Quelques références :
- Harold Speed : Oil Painting Techniques and Materials (Dover)
- Angela Hair : Tonal Painting (Studio Vista)
- Jacques Tanguy : Maitriser la couleur (Ulisse)
© - Atelier ARTmelle -
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