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Peinture descriptive ou expressive ?

abressontrichard

Le Musée d’Orsay présente actuellement deux peintres qui illustrent deux approches bien différentes de la peinture : Rosa Bonheur, TRES grande peintre française animalière réaliste et trop peu connue (1822-1899) et Edvard Munch, peintre norvégien expressionniste (1863-1944), peintre de ses émotions (plutôt négatives, soyez prévenus !) (vous connaissez, l’auteur du « Cri »).


Le Roi de la foret (1878)


Chevaux sauvages (1889)

La femme vampire (1894)


Jalousie (1907)

Ces deux expositions nourrissent mes réflexions sur la peinture et sur son intérêt qui demeure bien vif, malgré l’avènement de la photographie.

En effet, certains ont pu dire que la peinture, tout du moins la peinture figurative, est depuis bien longtemps supplantée par la photographie. L’art moderne ne s’est-il pas construit sur la disparition du sujet, sur l’épuration des moyens ou sur faire du moyen le sujet : la ligne, la couleur, la matière, pour elles-mêmes, laissant le figuratif à la photographie et plaçant le spectateur au cœur de l’action avec son imagination et son ressenti comme seules boussoles ?

A quoi bon passer des heures à peindre un sujet, alors que l’on peut l’immortaliser en un seul clic ? La copie ne sera-t-elle pas toujours plus fade que la réalité ? Pourquoi s’échiner à représenter à l’identique un sujet pendant des heures et des jours, alors qu’un simple cliché permet de le fixer ? S’agit-il seulement de relever un challenge technique, celui de représenter en 2D un sujet en 3D ? Qu’est-ce que j’exprime en peignant moi-même un sujet plutôt qu’en le photographiant ? Qu’est-ce que j’y apporte de moi, de mes sensations, de ma perception, de mon imaginaire, de ma vision du monde ?


L’art occidental classique est l’art de la représentation « à l’identique », l’art de la « mimesis », construit autour de règles précises. Elle s’est développée comme peinture descriptive, comme peinture imitative, dans laquelle le peintre cherche à représenter un sujet tel qu’il est : le peintre est face à son sujet, dans une dualité distanciée entre l’esprit et la matière, et cherche à le reproduire en deux dimensions sur sa toile. L’art du peintre est alors un art d’illusionniste, cherchant à créer l’illusion du volume et de la profondeur, à partir de procédés ou « trucs » de peintre : la perspective géométrique, la perspective atmosphérique, le jeu des ombres et de la lumière, les contrastes de couleurs, de valeurs, de dimension, la composition... Le peintre « reproduit » son sujet en se servant d’artifices efficaces, de techniques, de procédés plastiques.


Les Impressionnistes ont ouvert une nouvelle porte, en cherchant moins à peindre un sujet particulier, que les effets de lumière sur ce sujet. Ils étaient néanmoins encore des peintres « descriptifs », décrivant avant tout la lumière.


Avec l’influence des arts orientaux, introduits en France à travers les estampes japonaises, la place du peintre a changé. Le peintre oriental n’est plus face au sujet, mais dans le sujet. Il fait partie intégrante de l’espace qu’il représente, il devient vecteur d’une énergie plus grande que lui, qui le traverse, et qu’il restitue à travers son pinceau. Il sent l’énergie vitale à travers la forme. Dessiner un arbre, un bambou, en le sentant s’élever vers le ciel, des racines jusqu’à sa cime.


Le mouvement n’est plus un mouvement de l’extérieur vers la toile, mais un mouvement de l’intérieur du peintre vers la toile. Le peintre crée une œuvre qui traduit le ressenti, les émotions qui le traverse.


Cela m’évoque un poème persan de Rumi, poète musulman du 13ème siècle, « Le miroir du cœur », dans lequel des Byzantins gagnent un concours de dessin… sans tracer le moindre trait, grâce au simple reflet projeté sur un mur qu’ils ont poli, du dessin réalisé par l’équipe chinoise adverse : le reflet de la représentation contient plus que la représentation elle-même, la vue externe se double de la vision interne du peintre, le reflet est l’expression de l’invisible qui double le visible. Peindre n’est pas dépeindre, c’est capter l’invisible.


Un des premiers à avoir senti cette nécessité est Henri Matisse : « Ce que je poursuis par-dessus tout, c’est l’expression », l’expression de mes « sentiments », « la condensation des sensations », la recherche du « caractère de l’objet ou du corps que je veux peindre ». « Je ne peins pas cette table, mais l’émotion qu’elle produit sur moi. » « Pour rendre un paysage d’automne, je n’essaierai pas de me rappeler quelles teintes conviennent à cette saison, je m’inspirerai seulement de la sensation qu’elle me procure. » « Le choix de mes couleurs est basé sur l’observation, le sentiment, l’expérience de ma sensibilité… Je cherche simplement à poser des couleurs qui rendent ma sensation. » « Je vais vers mon sentiment, vers l’extase et j’y trouve le calme. » « Une œuvre est finie quand elle représente de façon très précise mon émotion » ; c’est un « souvenir de l’instant sentimental où je l’ai fait. » « Fuir la perfection, vide d’émotion. »

- Là, je diverge un peu : personnellement, la perfection me crée aussi de l’émotion, mais je vois ce qu’il voulait dire…


« Le secret de mon art consiste en une méditation d’après la nature, en l’expression d’un rêve toujours inspiré par la réalité. » « Je cherchais autre chose que l’espace réel. » « L’artiste ou le poète possèdent une lumière intérieure qui transforme les objets pour en faire un monde nouveau, sensible, organisé… » « Je travaille de sentiment. » « Créer, c’est exprimer ce que l’on a en soi. Tout effort de création authentique est intérieur. Encore faut-il nourrir son sentiment, ce qui se fait à partir des éléments que l’on tire du monde extérieur. » (Extraits de « Notes et Ecrits sur l’Art» d’Henri Matisse, Edition Hermann, Savoir sur l’Art - 2014)


Il distinguait ainsi le travail d’après nature du travail d’imagination, basé sur l’observation de ce qu’il ressent et sa transcription par le dessin, la couleur, la composition, l’agencement des différents éléments du tableau, le vide et l’espace entre les éléments étant des éléments à part entière. La réalité joue néanmoins un rôle : elle est un point de départ à son ressenti. Sa peinture est ainsi la transcription de ses sensations face à la réalité. Il ne s’agit donc pas de peindre la réalité pour elle-même, mais pour ce qu’elle évoque au peintre. Il s’agit d’une traduction, d’une interprétation, d’une transformation de la réalité passée par le filtre sensible de l’artiste. Il s’agit d’une réalité revisitée par l’art, d’une réalité subjective.


Et les émotions qu’il voulait rendre en peinture étaient des émotions de joie, d’apaisement. « J’ai choisi de garder par devers moi tourments et inquiétudes pour ne transcrire que la beauté du monde et la joie de peindre. » Et bien voilà donc pourquoi j’aime autant la peinture de Matisse (et que l’on a appelé notre fils Mathis) ! Elle m’apaise et me donne le sourire ! Merci !


On est à l’opposé des émotions traduites pas Edvard Munch dans sa peinture, expressive elle aussi, mais exprimant le plus souvent des émotions noires, de tristesse, d’angoisse, de jalousie… A travers sa « Fresque de la vie », Munch a voulu représenter ce qu’il pensait que l’homme traverse de la naissance à la mort, en passant par la puberté, l’amour, la rupture, la maladie, la vieillesse, la mort et les émotions associées…


Alors qu’à l’opposé, Matisse a produit « un art d’équilibre de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant, qui soit… un lénifiant, un calmant cérébral…, une trêve, une certitude agréable, qui donne la paix… le calme et le repos. » Touchée !


La peinture, par le dessin et la couleur, est alors un moyen d’expression, non un moyen de transcription. Les couleurs, ainsi, ont un pouvoir expressif, et non descriptif.


La peinture va bien au-delà de ce que peut donner une photographie, et peut « entrainer le spectateur plus loin que le tableau ».


ENTRAINER LE SPECTATEUR PLUS LOIN QUE LE TABLEAU…


Ces propos m’inspirent : vivre la peinture comme une respiration : faire rentrer le monde en soi par une inspiration, et le redonner dans une expiration, sur sa toile. Chercher le contenu dans la forme. Vu ainsi, le figuratif garde toute sa noblesse : incarner le réel. Le faire vivre à travers mon regard. Montrer le caché derrière le visible. Ouvrir un espace. Et tant qu’à faire, que ce soit un espace de beauté...


Alors, à nos pinceaux !

*


Auteur : Armelle BRESSON-TRICHARD, Atelier ARTmelle

Janvier 2023






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