Fréquents sont ceux qui me disent ne pas être intéressés à peindre des Natures Mortes. L’appellation de ce genre pictural est en effet austère et évoque probablement des images tristes, académiques, ennuyeuses, inertes.
Et pourtant…
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Peindre des Natures Mortes présente bien des vertus et des plaisirs, que j’ai envie d’explorer avec vous, alors que le Louvre présente actuellement une belle exposition intitulée « Les Choses, une histoire de la Nature Morte », jusqu’au 23 janvier 2023, que je vous recommande.
Cette exposition est l’occasion de revisiter ce genre pictural de l’art des choses qui parle si bien du vivant et qui a d’après moi encore tant à offrir, aux peintres eux-mêmes et à ceux qui admirent leurs œuvres.
1. La Nature Morte, qu’est-ce que c’est ?
La Nature Morte est la représentation d’objets inanimés (Gérard de Lairesse) ou de « choses » ou de « cosa naturale » en espagnol. Maurice Denis les définissait comme « un agencement de choses en un certain ordre assemblées. » Le terme « Still Life » en anglais (littéralement « vie immobile ») est déjà moins repoussoir.
Le sujet premier du tableau est donc un ou plusieurs objets, fruits, légumes, paniers, bouteilles, verres, vases, nourritures (y compris poissons, volailles, bœufs, cochons…), fleurs et bouquets, coquillages, monnaies, casques, sacs, rouge à lèvres, crane… Il s’agit là de représenter une ou des choses pour ce qu’elles sont et de célébrer la vie, la beauté des formes, le charme des objets.
Oui … crane, car le sujet second du tableau a aussi souvent été celui du temps qui passe, de la vie qu’il faut saisir, de l’instant de vie qu’il faut garder, du temps qu’il faut bien utiliser, de la disparition, de la fine ligne ou frontière entre le vivant et le non-vivant, entre l’être et l’objet. C’est la sous-famille des « Memento Mori » ou « Vanités » qui nous rappelle notre finitude anthropologique.
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On verra souvent dans une coupe de fruits une mouche posée dans un coin qui évoque le destin du fruit mur qui va pourrir ou être mangé (ci-contre Willem Claeszoon Heda - qui signe sous l’abréviation Claesz, Haarlem 1594- 1680, Nature morte à la vigne )…
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La Nature Morte est donc souvent une image qui porte un message, comme par exemple la dénonciation de la luxure ou de l’avarice ou au contraire pour vanter les plaisirs de la chair à l’aide de fruits et légumes suggestifs... Elle permet de montrer le pouvoir de certaines choses sur les êtres. Je vous invite quand vous verrez des natures mortes dans les musées à vous interroger sur leur sens second.
George Perec dans « Les Choses, une histoire des années 60 » parlaient des choses comme de « signes vivants qui font penser, croire, rêver, imaginer, douter, se rappeler, agir… ». C’est beau, n’est-ce pas ?
Il est montré dans l’Exposition au Louvre que longtemps (presque 1000 ans de la chute de l’Empire romain à la fin du XVIème siècle), les objets ont été éclipsés, tout en étant présents pour servir dans la peinture chrétienne de symboles iconographiques (le pain, le vin, les missels, le miroir, le livre, les clés, la clepsydre ou horloge à eau…), comme attributs, aidant à la lecture d’une scène biblique, servant de faire-valoir aux figures saintes, avant que l’objet ne repasse au devant de la scène pour lui-même ou pour sa symbolique de vie, comme sujet de peinture à part entière.
Dans la peinture académique, le genre de la Nature Morte était en bas de classement des sujets de peinture, après les sujets religieux, les scènes mythologiques ou historiques, les paysages, les portraits et les scènes de genre.
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Les artistes femmes (comme Louise Moillon, Clara Peeters, Héloïse Harriet Stannard, peintre anglaise du XIXème siècle ci-contre, Anne Vallayer-Coster), qui n’avaient pas accès aux grands thèmes ni aux Académies ni aux écoles de formation, y ont excellé… souvent dans l’ombre.
Et cela a permis aux peintres des libertés créatives autour d’un genre moins régulé par des normes imposées.
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Que de belles scènes, déjà sous les Romains, à admirer sur les murs de Pompéi, d’Herculanum ou des villas romaines comme la Villa Adriana (Pompei, Panier de figues, 79 av J-C) !
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Dans la peinture italienne, avec le Caravage !
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Dans la peinture Hollandaise et Flamande (ci-dessous Jan Brueghel, dit Brueghel de Velours vers 1590) !
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Chez Jean Siméon Chardin (1699-1779,ici avec « Pipes et vases à boire, dit la tabagie » vers 1737) !
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Bien sur aussi chez Paul Cézanne ou d’autres « modernes » comme Edouard Manet et sa Botte d’asperges de 1880 ou « La grande nature morte au guéridon » de Picasso en 1973…
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Ou aujourd’hui chez des peintres contemporains comme Ans Debije qui représente inlassablement de simples objets ordinaires du quotidien sur des petites formats en 15x15, au couteau, de manière tellement poétique !
2. Quel plaisir trouver à peindre une Nature Morte ?
Peindre sur le motif : tout d’abord, pour ceux qui aiment peindre « sur le motif » ou d’après la réalité, représenter des objets autour de soi présente un élément pratique : peindre ce que l’on a sous la main sans qu’ils bougent ! Les objets gardent la pose et on peut les éclairer et les agencer selon son souhait.
Travailler les couleurs, les matières, les effets de lumière : ces sujets sont souvent prétexte pour le peintre à s’entrainer à représenter la réalité, cherchant à reproduire la variété des couleurs et des tons, ou les effets de matière, variant selon la température et la direction de la lumière : la transparence du verre, la brillance de l’argent, l’éclat de l’or, le velouté d’une pêche, la douceur d’une soie, les plumes d’une volaille, la blancheur d’une porcelaine… La Nature Morte a été pratiqué par bien des peintres pour démontrer ou affuter leur savoir-faire et leur habileté technique. La représentation d’une mouche sur un fruit pouvait aussi être une vantardise du peintre, pour signifier que son fruit était plus vrai que nature !
Peindre en 2D avec les effets de la 3D : peindre une nature morte permet de s’entrainer au réalisme, en cherchant à suggérer des effets de volume et de profondeur d’un objet qui est dans la réalité tri-dimensionnel alors qu’il est peint sur la surface plane de la toile.
S’exercer à la composition : il s’agit déjà de choisir ce que l’on veut peindre, quels objets peindre ensemble de manière cohérente en tenant compte de leur famille, de leur forme, de leur taille, de leurs couleurs, puis de décider comment les agencer devant soi, puis sur la toile, pour que chacun trouve sa place et pour guider le regard du spectateur.
Magnifier la beauté des choses qui nous entourent et leur rendre hommage : peindre un objet ou un groupe d’objets est aussi une manière de faire voir, d’attirer le regard du spectateur sur une belle « chose », sur son charme. Ou sur un moment particulier, représenté par des objets symboliques.
Garder le souvenir de nos objets favoris ou des êtres que l’on aime à travers leurs objets représentatifs et leur pouvoir de réminiscence : un tableau possède une dimension poétique différente d’une photographie. Peindre vos objets favoris permet d’en garder une trace avant qu’il ne se perde ou ne s’use ! Les objets peuvent même servir d’autoportrait ou de portrait des êtres chers, à travers un objet associé.
3. Des idées de sujets pour vos prochains tableaux
Je vous invite donc à penser de temps en temps Nature Morte lorsque vous réfléchissez aux prochains sujets de vos tableaux :
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Envie de peindre une certaine gamme de couleurs : pourquoi pas des grenades (voir ci-contre ma première Nature Morte d’après photo), des raisins, des pommes, des kakis, des pastèques, des crevettes…
- Envie de travailler les volumes : une grappe de raisins, un pot aux belles formes, des pommes…
- Envie de travailler la transparence : des flacons, des verres, des carafes…
- Envie de travailler les effets de matière et de lumière : les métaux, les tissus, le marbre, le bois, le drapé, une bougie, une lampe…
- Envie de rendre un objet aimé éternel : le doudou de votre enfant, une statuette, votre porte-clés favori, les chaussons de votre mari…
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Envie de vous représenter ou de représenter un proche à travers un objet symbolique : des chaussures de flamenco, des chaussons de danse, une pile de livres et une paire de lunettes, une raquette de tennis, une pipe, un flacon de parfum, le fauteuil Ruché d’Inga Sempé (que j’ai représenté dans le tableau ci-contre, à défaut de m’offrir le fauteuil dont j’adore le drapé !)…
- Envie de passer un message par l’image : peindre un amoncellement d’objets pour dénoncer la surconsommation et la prolifération d’objets de consommation par exemple…
- Envie de vous souvenir d’un moment particulier, comme un petit déjeuner au lit, ou un mariage à travers quelques objets symboliques…
Vous l’aurez compris, j’aime la Nature Morte comme reflet de l’ESSENCE des choses, pour le champ de VIE qu’elle ouvre, pour l’accès qu’elle permet à la BEAUTE, pour tout ce qu’elles peuvent CONTENIR ou EVOQUER et ainsi, pour le PUITS D’INSPIRATION qu’elle offre !
Bruno Latour, tout récemment parti, disait dans « Petite sociologie des objets de la vie quotidienne » : « Considérez les choses, vous aurez des humains. Considérez les humains, vous êtes par là-même intéressés par les choses. »
Alors, à nos pinceaux !
Auteur : Armelle Bresson-Trichard, Atelier ARTmelle
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