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Un petit tour vers la Peinture Abstraite

abressontrichard

Dernière mise à jour : 9 févr. 2023


Joan Mitchell

A l’occasion de la grande rétrospective Joan Mitchell-Claude Monet à la Fondation Louis Vuitton jusqu’au 27 février 2023, qui permet de rentrer dans des grands tableaux expressionnistes abstraits tout en aplats de couleurs lumineuses, je vous emmène faire un petit tour de la Peinture abstraite : ses origines, ses principaux mouvements, ses caractéristiques et les procédés pour composer un tableau abstrait.


Nicolas De Staël, Rouge et Noir, 1950


1. Ses origines

Certains font remonter l’art abstrait à l’art pariétal des cavernes, sur la base de signes retrouvés sur les parois, sans qu’une signification claire ait pu leur être attribuée.

Typologie des signes du paléolithique supérieur répertoriés en France d’après les recherches de Geneviève von Petzinger : imaginaire symbolique et capacités d’abstraction


D’autres voient déjà dans l’Idéal du Beau de l’Antiquité grecque, l’idée abstraite de la Beauté comme un paradigme universel qui dépasse la beauté d’un individu en particulier.

C’est vraiment la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle qui ouvrent la voie à l’abstraction, en révolutionnant les règles académiques, avec :


La peinture abstraite naît ensuite officiellement vers 1910 avec les peintres russes et Kandinsky, traditionnellement désigné comme le père fondateur de la peinture abstraite, suivi par Kupka, Mondrian ou Malevitch. Ces artistes souhaitent tenir la nature à distance, s’éloigner du naturalisme, de la ressemblance et de l’imitation, en mettant l’accent sur les seuls moyens plastiques de la peinture, sur le « signifiant » : les lignes et la couleur.

Kandinsky, Composition 8, 1923


L’abstraction en peinture se réfère alors d’abord au courant de la peinture non figurative, qui se construit par opposition à la figuration, et en particulier au cubisme. L’Art Abstrait est lié à l’ « inobjectif » , regroupant l’Art géométrique, l’Art Concret, Le Constructivisme ou l’Art Non-Figuratif. S’épanouit ainsi en France l’Ecole de Paris, autour de l’art abstrait formel.


Outre-Atlantique, l’Art Abstrait évolue avec l’Ecole de New York et l’Expressionnisme Abstrait, après la deuxième guerre mondiale, autour de l’art abstrait informel, mettant l’accent sur le sens émotionnel et les « signifiés » plastiques.


Nombreux sont les artistes qui ont combattus la qualification de peintres abstraits, notamment en réfutant l’incompatibilité entre abstrait et figuratif.


La qualification d’abstrait a finalement regroupé une multitude de mouvements bien différents et ayant comme point commun l’accent mis sur les moyens plastiques : la ligne, la couleur, la texture/matière et la lumière, moyens utilisés en soi ou comme langage exprimant des émotions, des sensations ou même des idées.


2. Les principaux mouvements


On peut distinguer deux grands mouvements dans la peinture abstraite :


· L’Abstraction géométrique (ou l’Art concret, le Suprématisme, le Néoplasticisme minimaliste, l’abstraction constructive ou l’Orphisme) - courant dit « froid » : courant pictural basé sur la ligne et la couleur et sur le formalisme géométrique, la pureté et la limitation des formes et des couleurs employées. S’y rattachent Kupka, Vassily Kandinsky, Kasimir Malevitch et Piet Mondrian, puis le groupe Cercle et Carré avec Joaquin Torres Garcia et Michel Seuphor et de nombreux artistes comme Fernand Léger ou Francis Picabia. Les peintres de ce courant ne donnent pas de titres signifiants à leurs œuvres ou les numérotent, puisqu’elles ne sont pas représentatives de la nature ou porteuses d’un signifié (ex : « Composition V » de Kandinsky).


El Lissitzky, 1919


· L’Abstraction gestuelle, lyrique ou informelle ou l’expressionnisme abstrait (courant dit « chaud ») : courant pictural basé sur la liberté plastique de l'expression gestuelle et émotionnelle, se manifestant par des procédés comme la projection linéaire, des taches (le Tachisme) ou le brossage de la couleur sur la toile et employés pour véhiculer des sentiments ou des idées.


Jackson Pollock



On peut en rajouter un troisième :

· Le semi-abstrait ou le semi-réalisme : courant se situant entre la figuration et l’abstrait, basé sur une interprétation abstraite du réel, une schématisation des formes du visible et un ressenti du peintre à l’écoute de ses sens.

De Staël, Ménerbes, 1953



3. La Peinture Abstraite, qu’est-ce que c’est ?

Barnett Newman, Shining Forth, 1961

La Peinture Abstraite fait initialement référence aux œuvres d’art non-figuratives, non représentatives de la réalité et qui rejettent la représentation du réel tangible.


Auguste Herbin a ainsi caractérisé l’abstraction comme « sans lien avec le monde des apparences extérieures. », comme le domaine de l’« inobjectif ». Le mouvement, tel que caractérisé par ses premiers théoriciens, est fondé sur un rejet de la figuration, et des « trucs, tels que perspective et trompe-l’œil », dans un retour au plan en deux dimensions, par opposition à l’espace en trois dimensions ; l’espace est ainsi exclu du champ de l’abstraction.


L’abstrait repose initialement sur le signe pour le signe en soi, la forme pour elle-même, et non pour ce qu’il représente, non pour le sujet. Avec la peinture abstraite, on a pu alors parler de la mort du sujet et de la disparition de l’objet. Et cette absence dit aussi quelque chose de l’homme et du monde. Le figuratif est abstrait de la représentation… L’abstrait fait abstraction du sujet et de l’objet, l’omet, l’ignore, le soustrait de ce qui est montré.


Et si on oppose réel et abstrait, on ouvre alors le champ au produit de l’imagination ou de nos sens.


Libre ensuite à celui qui le regarde d’y « voir » quelque chose, de l’associer à une forme connue, à une expérience vécue, de lui attacher un sens. L’abstraction est une simplification, un langage. Le signe redevient indissociable du sens, associant forme et contenu, dans une continuité entre le monde, le peintre, le spectateur et le tableau, dans un certain rapport au monde.


Que reste-t-il lorsqu’on soustrait d’une représentation la représentation du réel ou les formes reconnaissables d’un sujet ? Il reste des lignes et des formes géométriques ou organiques, des couleurs, des textures et des matières, des lumières. Et l’impression qu’elles laissent, du côté des émotions, des sensations ou du côté de l’imagination ou des souvenirs. On rejoint là un autre sens du mot abstraction, celui de former une idée par l’esprit, par l’imagination, à partir des symboles portés par la couleur, la matière, les formes, les lumières. On touche alors au propre de l’homme, à ce qui l’élève du stade animal, à sa capacité à concevoir des idées et des images au-delà du visible connu, indépendamment même de sa volonté, à former des images à partir de signes extérieurs, à partir de signes graphiques.


L’art abstrait invite donc le peintre ou le spectateur à écouter ses sens, son ressenti, son instinct, les traces émotionnelles gardées en lui, à laisser l’œuvre résonner en lui, faire écho aux traces de son vécu, lorsqu’il crée, ou lorsqu’il est face à une toile.


4. Les caractéristiques des tableaux abstraits

La peinture abstraite se caractériserait donc par :

- Des superpositions de formes pour elles-mêmes et non pour leur représentation ;

- La non-représentation d’objets ou de morceaux du visible ;

- La recherche de rythmes plastiques par des lignes et la multiplication des obliques, des arabesques et des angles ;

- Des jeux de géométrie ;

- Des traits ;

- Des aplats de couleur ;

- Des jeux de texture, de matière, d’empâtements ;

- Des taches de formes et de couleurs variées ;

- Le respect de la bi-dimensionnalité, du plan, de la surface, par opposition à la profondeur et à l’espace tri-dimensionnel ;

- Son caractère « non-illusionniste » ;

- Un traitement égal du fond et des formes, sans profondeur ;

- Une absence de conceptualisation, d’où souvent l’absence de titres attribués aux œuvres.


Cependant, entre l’abstrait pur et le figuratif, apparait un entre-deux, qualifiée par certains d’abstraction lyrique ou de peinture semi-réaliste ou semi-abstraite, auquel pourrait être rattaché peut-être Nicolas de Staël par exemple, recherchant tout de même à :

- représenter l’espace, la profondeur, à travers une figuration imparfaite, via des surfaces, des couleurs et des valeurs ;

- travailler le plan, mais dans son épaisseur ;

- travailler la densité de la matière ;

- illustrer imparfaitement le réel sans abandonner le sujet pour la forme ;

- sans prendre le sujet dans la nature, retenir sensations et perceptions qu’elle suscite ;

- peindre avec des gestes rapides pour exprimer la fulgurance des sensations du peintre, d’instinct et par accident, par explosion ;

- utiliser la couleur pour traduire l’ambiance d’un lieu et l’intensité émotionnelle consécutive ;

- être guidé par le besoin de toujours plus d’épure face à un sujet.


Nicolas De Staël (ci-contre Plage, 1952) écrit : « Ça, c’est la peinture. L’entre-deux. Braque peint ce qui est autour des objets, puis il représente ces objets. Moi, les objets, je ne les représente plus. » Il recherche « un espace visuel, un espace tactile, un espace manuel », d’où son travail de sa première période en empâtements notamment.

« Une peinture devrait être à la fois abstraite et figurative. Abstraite en tant que mur (le plan de la toile), figurative en tant que représentation d’un espace. » Nicolas de Staël (Témoignages pour l’art abstrait, Julien Alvard et Roger Van Gindertael, 1956).


Des titres signifiants sont souvent donnés à ces œuvres (ex : « Les rayons du jour » de N. De Stael en 1944), guidant le spectateur dans sa lecture des formes et des couleurs, ou à défaut, laissant le spectateur libre de reconnaitre des images qui lui parlent, dans un écho entre la toile et ce qu’il porte en lui.


Rien n’est exactement reconnaissab1able dans les formes employées, même si déduites d’objets réels, schématisés.


5. Les moyens de la peinture abstraite

Hans Hoffman, Pompeii, 1959

· Le geste et les manières d’appliquer la matière : geste des doigts, du poignet, du bras, du corps, manière de tenir ses outils, de les manier : tracer, taper, tourner, pousser, tirer, éclabousser, laisser couler, appuyer, frotter, gratter, effacer, écraser, appliquer, réaliser des impressions, transférer, superposer…

· Les outils : utilisation de différents types de pinceaux, fins ou épais, mous ou durs, secs ou souples, de couteaux, de spatules, de brosses, de cordes, de papiers à plat ou en boule, de cartons, de tampons, de coton, de gaze, de bandage…

· Les textures et les matières : à plat, en épaisseur, en empâtement, en coulures, en volumes, en relief pour accrocher la lumière… avec de la peinture acrylique et des épaississants comme le gesso ou la pâte de modelage ou des fluidifiants…, le papier, le carton, la terre, le sable, la sciure…

· Les formes géométriques : figures, lignes, traits, traces, taches…

· Les couleurs : les harmonies colorées : rapport de quantité ou de proportion avec une dominante en petite quantité et une ou des couleurs toniques en grande quantité, ou l’inverse…, rapport de qualité ou de valeur (dominante saturée et tonique désaturée), agencement de couleurs analogues, ou agencement de couleurs opposées sur le cercle chromatique, accord géométrique ou par contraste (agencement des couleurs formant un triangle sur le cercle chromatique)…

· La composition : les contrastes de couleurs (clair-obscur, chaud-froid, complémentaires, qualité, quantité, couleur-en-soi, simultané ou successif), les jeux de perspective, l’agencement des formes, la déconstruction du réel, le rythme, les contrastes, les ruptures d’intervalles, l’asymétrie…


Tous ces procédés sont au service du peintre, guidé par son intention ou son intuition, pour créer son propre univers.


Le critique d’art Michel Tapié, l’inventeur de l’expression « art informel », offre une magnifique approche de l’art abstrait dans Un art autre où il s'agit de nouveaux dévidages du réel (Paris, Gabriel-Giraud et fils, 1952) : « Le problème ne consiste pas à remplacer un thème figuratif par une absence de thème, qu’on nomme abstrait, non-figuratif, non-objectif, mais bien à faire une œuvre, avec ou sans thème, devant laquelle on s’aperçoit petit à petit que l’on perd pied, que l’on est amené à entrer en extase ou en démence et que cependant, une telle œuvre porte en elle une proposition d’aventure, mais dans le vrai sens du mot aventure, c’est-à-dire quelque chose d’inconnu. »


Belle association entre un tableau et une aventure…


Alors , à nos pinceaux !

*

Auteur : Armelle BRESSON-TRICHARD, Atelier ARTmelle

Février 2023


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